un événement Cité de la musique


Sir John Eliot Gardiner / Marathon Bach

Chemin de lumière

En deux journées, cinq concerts et une leçon de musique publique à laquelle les auditeurs sont invités à participer, Sir John Eliot Gardiner propose un monumental Marathon Bach.

Cité Musiques | Le pèlerinage Bach s’est achevé en 2000, les ultimes enregistrements vont bientôt paraître. Quel regard rétrospectif portez-vous sur cette entreprise ?

Sir John Eliot Gardiner | Ce fut une expérience unique, énorme et enrichissante. Imaginez que vous passiez plus d’un an en compagnie d’un seul compositeur. Nous avons pénétré l’intimité de son laboratoire. Au fur et à mesure que nous déclinions les cantates, nous avions l’impression d’être dans la genèse de l’oeuvre. C’était éreintant et sublime.

Retour sur le week-end Bach/Gardiner de décembre 2010

Avez-vous eu l’impression de rencontrer l’homme Bach ?
Il est sans doute présomptueux de l’affirmer, mais j’ai l’impression d’avoir commencé à comprendre ce que Bach avait en tête lorsqu’il se retrouvait devant la page blanche. Je touchais du doigt les tics spécifiques du créateur, ce contre quoi il doit lutter et ce qu’il lui faut surmonter. J’ai aussi compris l’énorme capacité de cet homme à varier, surprendre, imaginer. Sa fantaisie créatrice est incroyable. Pour autant, cela ne devait pas être toujours facile. On sent ses hésitations face au texte, ses essais et ses remords. En revanche, une fois les vannes ouvertes, l’élaboration lui était d’une grande facilité. Comme tous les génies, il devait lutter contre l’excès d’imagination et d’invention. Il savait garder l’équilibre dans les proportions. À aucun moment il ne tire à la ligne. Il se trompe très rarement sur la durée des airs, leur longueur, leur intensité.

Pourquoi revenir à Bach avec ce programme Marathon ?
Pour moi Bach est une source. Ma fascination n’a pas de cesse. C’est pourquoi j’ai désiré ce Marathon. Notez que nous le donnons sous deux formes. Il y a le Marathon de Paris, le week-end du 7 avril. Le 1er avril aura eu lieu celui de Londres, au Royal Albert Hall, sur une seule journée, commencé à 10h du matin avec la Saint Jean et clos à minuit par la Messe en si. On aura entendu des pièces d’orgue, ce que nous ne ferons pas à Paris, mais nous incluons dans les deux capitales les Goldberg et les Partitas pour violon. Assortis de cantates. Pour Paris nous avons voulu des tranches horaires plus nettes. Le festin musical y sera à entrées multiples.

Quel est le sens de ce Marathon Bach ?
Je l’ai voulu centré autour de la fête de Pâques, notamment dans notre concert du 6 avril consacré aux cantates. J’ai choisi la BWV 4 car elle m’accompagne depuis toujours. Je l’ai étudié avec Nadia Boulanger. C’est une extraordinaire œuvre de jeunesse. Elle forme un beau diptyque avec la BWV 82 qui chante le deuil, la consolation et la sérénité. Le retable sonore sera couronné par le motet BWV 31 qui est une véritable irradiation de foi. Nous allons ainsi de la mort à la résurrection, sur ce chemin de lumière qui est le sens de la fête pascale.

Blandine Rannou © A Yanez

Comment avez-vous choisi les interprètes ?
J’ai fait le choix de la « première fois ». Si j’ai entendu la violoniste Midori Seiler et la claveciniste Blandine Rannou, je n’ai travaillé avec aucune d’elles. Inviter ces splendides interprètes françaises à participer à un projet proposé par des Anglais est logique. Partout nous faisons le choix de l’excellence.

  • Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg (extrait)

    Blandine Rannou © Zig-Zag Territories 2010

  • Johann Sebastian Bach, Variations Goldberg (extrait)

    Céline Frisch, sur le clavecin Jean-Henry Hemsch (Cité de la musique, 20 mai 2001)

Quelles œuvres choisir dans cet abus de richesse que propose le catalogue Bach ?
C’est là que réside le plus difficile de l’entreprise. Que prendre ? J’ai choisi le plus attirant, les Goldberg, et le plus dansant, avec la Chaconne pour violon seul. C’est une danse tragique où se mêlent la douleur et l’exaltation. La concentration des moyens et des harmonies y est tellement large. On a parfois l’impression d’entendre un orchestre entier dans cette œuvre soliste. Et la forme même, chaconne ou passacaille, est l’hommage de Bach à la musique française des Couperin et Marchand. Elle clôture les opéras français, songez à Rameau et Lully. Je reprends le geste d’allégeance de Bach envers l’art versaillais.

  • Johann Sebastian Bach, Chaconne

    David Grimal (Cité de la musique, 23 octobre 2012);

De nouveau vous faites intervenir le public, en répétant avec lui les chorals des cantates.

C’est d’abord un geste dans l’esprit de Bach. Songez à ces célébrations luthériennes où la communauté chante, et plutôt bien, les chorals de Luther ou Buxtehude. Mais je veux aller plus loin. Ce n’est pas la première fois que je fais participer le public. Je pense qu’il est fatigué d’être passif face à ces musiciens installés sur la scène ou sur les praticables. Il est temps de réinventer notre relation à la musique et notre vivre ensemble. Nous sommes encore trop héritiers de cette représentation héritée des concerts du XIXe siècle. Il y a une petite révolution à mener. Chanter ensemble, le public et les choristes, est un humble premier pas. Et cela permet aussi de s’approprier, dans sa chair et son souffle, la musique.

Vous êtes aussi lancés dans une tournée de concerts avec la Missa Solemnis. Un lien pour vous avec Bach ?
L’influence du Cantor sur 90 % des compositeurs après lui est flagrante. La présence de Bach chez Beethoven est pour moi évidente. Les musicologues ont l’habitude de parler de l’influence de Haendel dans la Solemnis. J’entends surtout Bach dans la structure de chaque mouvement. Il y a cette lutte, à l’intérieur de l’œuvre, entre Dieu et l’homme. On y entend résonner les mêmes doutes que dans les cantates. Cette interrogation que suscite le destin de l’homme, sa révolte face à la mort, le questionnement existentiel qui s’opère dans ces instants terribles. Bach a tant côtoyé le deuil : celui de ses parents, de sa première femme, de ses enfants. Puis-je continuer à croire en mon Dieu ?, demande-t-il souvent. Bach n’a pas fait que composer la musique d’une foi inébranlable, il nous a aussi légué la musique du doute ontologique. C’est ce qui la rend encore plus humaine et fait qu’elle rejoint Beethoven, ce grand questionneur.

Avez-vous d’autres projets monumentaux ?
Oui, mais j’en parlerai quand j’aurai achevé d’escalader l’Himalaya Bach et le massif Beethoven.

  • Ludwig van Beethoven / Missa Solemnis, op. 123

    Gabrieli Consort and Players, Paul McCreesh (Pleyel 19 octobre 2007)

Propos recueillis par Vincent Borel
Photo : Sir John Eliot Gardiner © James Cheadle / Blandine Rannou © A Yanez

Le clavecin de Jean Henri Hemsch joué par Blandine Rannou

Collection Musée de la musique E.974.3.1

Alors que la production du facteur Jean Henri Hemsch fut l’une des plus fructueuses et des plus réputées du XVIIIe siècle, seulement cinq instruments portant sa signature sont aujourd’hui répertoriés. Celui du Musée de la musique, réalisé en 1761, peut être considéré comme le modèle abouti du style français du XVIIIe siècle. Originaire d’Allemagne, Jean Henri Hemsch (1700-1769) s’installe à Paris dès 1728 et entre en apprentissage chez son compatriote, Antoine Vater, facteur de clavecin renommé. Il acquiert à son tour une grande réputation et devient maître dans la corporation des facteurs d’instruments de musique.

Tout à la fois instrument de musique et objet d’art, le clavecin s’inscrit dans l’esprit de son époque. Des clavecins similaires peuplent les aquarelles de Carmontelle (pour la plupart conservées au Musée Condé de Château de Chantilly), auteur d’une véritable galerie de portraits de la bonne société et d’artistes. Il est une pièce incontournable du salon, celui par exemple d’Alexandre Le Riche de la Pouplinière, qui a accueilli le compositeur Jean-Philippe Rameau et dont les clavecins étaient entretenus par Hemsch.
Ce clavecin est encore aujourd'hui en état de jeu. Il est muni d'un fac-similé de mécanique.

Clavecin Jean Henry Hemsch, Paris, 1761, E.974 © Cité de la musique - Photo : Jean-Marc Anglès

Photo : Sir John Eliot Gardiner © James Cheadle