un événement Cité de la musique


Mémoire au présent : les Balkans

Les chemins des diasporas

« Il faut bien comprendre que dans les Balkans, tout procède des anciens empires », déclarait Emir Kusturica en 1995. Une histoire que retrace Jordi Savall et dont héritent les fanfares qui incarnent le son de la péninsule.

Évoquer les Balkans, c'est renvoyer à cette péninsule où l'Europe se confond avec l'Asie, comme le ciel et la mer à l'horizon, ou les nuages et les montagnes à leur sommet. L'image ne se veut pas seulement poétique : c'est à ces dernières que cette immense presqu'île doit son nom. « Montagne boisée », le géographe allemand Johann August Zeune l'imposa en 1808, croyant à l'existence d'une longue chaîne ininterrompue ralliant les Alpes aux rivages de la mer Noire. Zeune collecta ce terme auprès des Turcs qu'il rencontra au coeur de l'actuelle Bulgarie, dans une région appelée Stara Planina, vieille montagne en bulgare. Eût-il été bulgare, le terme aurait donc tout aussi bien défini cette terre prédisposée au cloisonnement.

Si le terme Balkans reste lié à de profonds confl its malheureusement ravivés ces dernières décennies, il est aussi lié à une grande richesse culturelle, due à l'empreinte laissée par les empires successifs auxquels ce territoire grand comme la France doit son histoire. Celle de Rome, qui a laissé le roumain, puis de Byzance, devenue Istanbul sous les Ottomans, sans oublier l'influence germanique et hongroise dans les régions plus au nord.

  • Fanfare Ciocarlia

    © WDR ; Network Medien, cop. 1997

  • Kolo

    Enregistrement à la Cité de la musique, 2003

Balkans

Balkan brass Band © Arne Reinhardt, 2010

Trois alphabets se côtoient aujourd'hui, grec, cyrillique et latin, l'alphabet arabe ayant été abandonné au début du XXe siècle. Trois religions tentent de cohabiter, le christianisme, sous les dogmes orthodoxe et catholique, l'islam sunnite et le judaïsme d'origine séfarade. Toutes ces minorités, anciennes ou récentes – les Tsiganes arrivent au XVIe siècle, tentent de se faire entendre et de maintenir leur unité culturelle et linguistique au-delà du découpage des frontières politiques qui n'a cessé de changer au cours du temps. Unité… est-ce le bon terme quand, par définition, ce qui est vivant est mouvant, sans cesse nourri d'emprunts ? Maintenir sa différence, pour exister, serait plus approprié.

Des Tsiganes (ou Roms), qui représentent peutêtre le meilleur exemple de la mobilité et de l'emprunt, et pour aborder enfin le domaine musical, on aimerait dire qu'ils sont partout chez eux, étant présents sur l'ensemble du territoire. Parlant toutes les langues (plus la leur) selon la terre à laquelle ils se sont attachés, ils jouent toutes les musiques, et ces concerts leurs font, logiquement, la part belle. Ils sont le trait d'union dont personne ne veut pourtant s'encombrer. Sans eux, les fêtes sont moins riches et les mariages moins prestigieux. Ils animent jusqu'aux funérailles dont la musique, qui n'est pas la leur mais celle de la communauté qui enterre son parent, vient honorer les derniers moments de présence du défunt.

  • Jordi Savall, Doine, pourtala

    Roumanie, by Courtesy of Jordi Savall

  • Jordi Savall, Hora cala caval (Romanien)

    Roumanie, by Courtesy of Jordi Savall

Les Tsiganes avaient, dans la société traditionnelle, le statut de professionnels contrairement aux musiciens locaux – bergers et paysans joueurs de flûte et de cornemuse, ou de luth chez les musulmans. On pourra les entendre, venus de Roumanie, de Serbie et de Grèce, tandis que l'Albanie sera illustrée par la fl ûte pastorale kaval qui, à l'image du ney turc auquel elle s'apparente, prend des allures mystiques pour accompagner le chant des frères Dervishi. Enfin, ou plutôt pour commencer la série, Jordi Savall et ses invités assureront le lien entre tous les peuples qui aujourd'hui font du mot « balkan » un synonyme de « richesse ».

Marie-Barbara Le Gonidec

Photo © Foto Bobi