Il arrive un an après la mort de Giovanni Gabrieli, le grand organiste et compositeur de San Marco. En 1613, la musique de Gabrieli est encore extrêmement prisée, les Vénitiens l'entendent durant toute l'année liturgique. Monteverdi arrive ainsi dans une sorte de « cocon musical » déjà bien établi mais au sein duquel il a peu de matériau concernant la musique sacrée. En 1610, il a déjà publié ses fameuses Vêpres, et une Messe à six voix écrite dans un style assez archaïque (prima prattica), mais il n'a rien écrit depuis. Il va alors se
tourner vers la musique de Giovanni Gabrieli, et a fortiori vers les pièces publiées à titre posthume en 1615, pour puiser son inspiration. Une véritable confrontation et une coexistence des deux styles – celui de Giovanni Gabrieli, assez innovant avec des motets-cantates tels que In ecclesiis, ou son motet jubilatoire Jubilate Deo, et celui de Claudio Monteverdi – se créent donc ici. Cette confrontation des deux styles, dans leurs dissemblances comme dans leurs similitudes, ce passage de relais m'ont semblé très intéressants. Nous allons profiter de ce magnifique outil qu'est le grand auditorium de la Cité qui permet différentes configurations sans que ce ne soit jamais au détriment de la qualité acoustique. Au programme figurent des pièces instrumentales en double choeur telles que Gabrieli les
compose jusqu'en 1612, des pièces écrites, au contraire, pour solistes accompagnés de violons concertants telles que Claudio Monteverdi les imagine dans certains extraits de la Selva morale. Et nous aurons jusqu'à trois choeurs avec un extrait de la Messe à trois choeurs de Giovanni Gabrieli, telle qu'elle a pu être donnée et dirigée par le nouveau maître de chapelle, Claudio Monteverdi. Ces choeurs seront répartis dans l'espace – un côté jardin, un côté cour et un central, ce qui correspond, dans l'église, aux différents emplacements depuis lesquels on donnait la musique. La configuration et les distances entre ces choeurs sont donc assez idéales. En 1600, cette notion de polychoralité est répandue dans toute l'Italie et a essaimé ensuite à travers toute l'Europe. »
Propos recueillis par Pascal Huynh