Pendant l'année 1968, en pleine période de contestation sociale, Luciano Berio propose à entendre au public Sinfonia. L'oeuvre pour huit voix et orchestre de chambre, dédiée à Leonard Bernstein, est créée au mois d'octobre à l'occasion du 125e anniversaire de l'Orchestre Philharmonique de New-York. Sinfonia est emblématique de la musique des années soixante et sa composition correspond à ce que les musicologues ont désigné comme étant symptomatique d'une attitude postmoderne. Le projet artistique de Berio consiste à réunir un nombre important d'éléments hétérogènes en les unifi ant dans une grande fresque sonore en cinq mouvements. La virtuosité du compositeur se mesure par l'intelligence de l'unité artistique alors obtenue. La démarche est aussi idéologique. Pour Berio, la musique est « un produit de la vie collective ». Dans ce cadre, alors que la modernité consisterait à être toujours plus novateur, un retour à la référence passée est envisageable en tant que patrimoine commun dans lequel chacun doit pouvoir puiser. Tout le paradoxe de l'oeuvre est là : entre la démarche avant-gardiste et la référence systématique au passé. Berio nous fait entendre un discours musical dont les tensions se font et se défont au gré de l'agencement des multiples citations musicales (Mahler, Debussy, Schönberg…) et littéraires (Claude Lévi-Strauss, Samuel Beckett). C'est dans ce sens qu'il faut entendre le titre Sinfonia, au sens étymologique d'un accord de sons.