Appellation d'origine contrôlée

De plus ancien au plus jeune quatuor à cordes, toutes les générations se donnent rendez-vous pour cette sixième Biennale.
L’occasion de s’interroger sur la genèse du nom des quatuors.

Si, pendant longtemps, il fut naturel qu’un quatuor à cordes porte le nom de son premier violon, une conception plus démocratique de l’équilibre de l’ensemble fit secondairement évoluer les manières. Au XIXe siècle et au début du XXe, la position dominante du primarius, à la notoriété de soliste souvent solidement établie, était gage de reconnaissance et de célébrité ; ainsi les quatuors menés par les illustres Joseph Joachim, Eugène Ysaÿe, Adolf Busch ou Lucien Capet vécurent sous le patronyme de leur prestigieux leader avec le succès que l’on sait. D’autres suivirent leurs pas (Kolisch, Loewenguth, Lener, Calvet, Talich, Griller, Parrenin, Schneider, Koeckert, Panocha…), pérennisant une tradition qui avait fait ses preuves.

Au fil du temps, il parut à certains plus judicieux de chercher une appellation faisant appel à la patrie ou bien à la ville d’origine de l’ensemble pour bien marquer son identité (London String Quartet, Quatuor de Budapest, Quatuor Hongrois, Quartetto Italiano, Quatuor de Tokyo, Quatuor de Prague, Hollywood String Quartet, Jerusalem String Quartet, Quatuor Pacifica…). Elle avait en outre pour avantage de pérenniser l’ensemble en cas de remplacement du premier violon. Le principe était équivalent pour ceux qui prirent le nom de l’institution dans laquelle ils étaient nés (Juilliard, Curtis, Wiener Konzerthaus, Cleveland, Théâtre du Bolchoï).

Au XIXe siècle et au début du XXe, la position dominante du primarius, à la notoriété de soliste souvent solidement établie, était gage de reconnaissance et de célébrité.

La profusion de quatuors rendit le choix de plus délicat, les conduisant à opter pour des noms (ou prénoms) de compositeurs (Amadeus, Beethoven, Bartók, Borodine, Janáček, Kodály, Smetana, Alban Berg, Britten, Pavel Haas, Béla…) ou bien de luthiers (Stradivari, Guarneri, Amati, Maggini…), voire d’une œuvre musicale (Diotima) ou d’un illustre interprète à qui ils souhaitaient rendre hommage (Casals).

Si les quatuors familiaux comme le Quatuor Hagen n’eurent guère de questions à se poser, on vit les artistes étendre leurs choix au monde de la peinture, de la philosophie ou de la littérature (Vermeer, Emerson, Miró, Modigliani), voire des naturalistes (Muir).

Pour d’autres encore, ce fut le seul fruit du hasard, comme pour les LaSalle qui, en toute hâte, choisirent le nom de la rue au coin de laquelle ils téléphonaient d’une cabine avant leur premier concert.

Une histoire très particulière fut à l’origine du baptême de certains d’entre eux comme pour le Quatuor Paganini, qui prit le nom du célèbre virtuose, non pas en mémoire de l’artiste qu’il fut, mais du seul fait qu’une généreuse mécène avait mis à sa disposition quatre instruments de Stradivari ayant appartenu au maître génois.

Vint ensuite la mode de faire revivre les noms d’anciens quatuors prestigieux, le décalage de plusieurs générations rendant toute confusion impossible (Ysaÿe, Amar) encore que certains, pour bien marquer la différence, jugèrent préférable d’y faire précéder leur nom de « nouveau » (New Budapest Quartet, Nuovo Quartetto Italiano).

Si elle avait été un temps perdue, d’autres renouèrent avec la tradition consistant à s’identifier par le nom de leur leader (Keller, Arditti, Takács, Chilingirian, Danel, Vogler, Kuss, Belcea…). On en vit même qui, faute de trouver un nom, choisirent délibérément de ne pas en porter (Quatuor Sine Nomine).

À toutes les époques, certains choisirent une appellation à consonance artistique, musicale ou poétique (Pro Arte, New Music, Fine Arts, Musical Art, Via Nova, Rosamonde, Artis, Voce, Signum), voire mythologique (Artemis, Terpsycordes).

Certains quatuors se sont démarqués de ces courants traditionnels, depuis ceux qui portèrent le nom de leur altiste (Pascal, Primrose), de leur violoncelliste (Pražák), d’une station de radio (WQXR) ou même d’un assemblage des syllabes des noms de leurs membres (Melos). Affaire de mode, de goût mais dans tous les cas, plus que leurs noms, ce sont bien leur niveau d’exigence, leur élégance de style et leur travail acharné à se forger une identité sonore, sans oublier leur capacité à transmettre leur art aux générations suivantes, qui les firent passer à la postérité.

Jean-Michel Molkhou