Réinvention d’un genre

La Biennale est aussi l’occasion d’inviter à la création et d’encourager les expérimentations fécondes.

Comment s’emparer du quatuor à cordes ? La question se pose de manière plus impérieuse encore aux compositeurs d’aujourd’hui, confrontés qu’ils sont à l’illustre histoire du quatuor en même temps qu’au formidable laboratoire d’évolution du langage musical qu’il représente. À cet égard, un festival de quatuors digne de ce nom ne peut faire l’impasse sur la création : cette sixième édition de la Biennale verra ainsi deux créations mondiales et pas moins de huit créations françaises !

Le jeune Quatuor Voce nous donnera la primeur de la sixième incursion dans le genre de Bruno Mantovani, tandis que l’éclectique quatuor berlinois Kuss nous livrera la deuxième expérience d’Oliver Schneller, compositeur allemand venu du jazz et relativement peu connu en France, malgré sa résidence à l’Ircam de 2002 à 2004 sur la spatialisation sonore. Lorsqu’on parle quatuor et création, impossible de ne pas mentionner le Quatuor Arditti, et c’est à lui que revient la part du lion de cette Biennale, avec à lui seul cinq premières françaises au cours de deux concerts d’une diversité d’esthétiques désarmante : citons l’Autrichien Georg Friedrich Haas, dont la musique héritière des spectraux plonge l’auditeur « à l’intérieur même du son », l’Américain Roger Reynolds qui, avec Not Forgotten, rend hommage à ses héros personnels, ou encore la Mexicaine Hilda Paredes, laquelle se sert du quatuor pour démêler les fils de la destinée.

Mais le véritable événement lors de ce passage des Arditti à la Cité sera le concert qu’ils donneront en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, avec les créations françaises de Hinterland de Pascal Dusapin – un sixième quatuor qu’il décrit avec humour comme un « hapax » pour quatuor avec orchestre – et de Melencolia de Philippe Manoury. L’an dernier, alors qu’il se lançait dans la composition de ce troisième quatuor, Manoury résumait le défi – ou plutôt l’un des défis – compositionnel soulevé par cet effectif unique : « Quand j’ai écrit mon premier quatuor à cordes – depuis supprimé de mon catalogue –, je venais d’obtenir mon diplôme d’analyse autour de la Grande Fugue de Beethoven. Pendant longtemps, ensuite, je n’ai plus touché au quatuor. Peut-être parce que je n’avais pas envie de me retrouver dans une forme aussi codifiée. Je m’y replonge aujourd’hui car ma musique s’est récemment développée de manière très polyphonique, et le quatuor est le lieu de la polyphonie la plus fondamentale. En outre, le quatuor est un moyen de créer une musique moins portée sur le sonore que sur une relation intime à la musique. L’éventail des timbres étant somme toute assez limité, la musique doit tenir sur d’autres critères que le son lui-même : discours, expression, gestion du temps… »

Jérémie Szpirglas