De l’esprit mozartien

C’est une coupe transversale dans l’œuvre pour quatuor de Mozart que propose cette Biennale.

En dehors de leur qualité artistique exceptionnelle, les quatuors de Mozart représentent une expérience spirituelle capitale. Ils montrent l’itinéraire d’un génie dont les perspectives esthétiques évoluent radicalement, mais aussi d’un homme en proie au succès facile, puis au doute et aux difficultés, d’un homme aux sentiments ambivalents. Derrière l’élégance et la légèreté, derrière l’alacrité apparente, se révèle quelque chose qui procède de l’angoisse, du désarroi, voire du désespoir. Si ces œuvres reflètent la transformation d’une écriture et d’un style, elles participent aussi à l’approfondissement d’un genre comme moyen d’expression privilégié du moi. Dans ses quatuors, Mozart se focalise de plus en plus sur « l’inexprimable, en tant qu’inexprimable » (Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce), à une époque où, précisément, s’opère une mutation des objectifs de la musique instrumentale qui s’éloigne d’une simple imitation de la nature.

Deux ans après un délicieux quatuor composé à 14 ans, les Quatuors « milanais », tout en s’inspirant des modèles italiens, trouvent à la fois un ton et un style personnels : beauté des thèmes souvent empreints d’un lyrisme ou d’un charme caractéristiques du compositeur, traitement du motif via le dialogue instrumental.

Ébloui par la découverte des Quatuors op. 20 de Haydn, Mozart écrit ses Quatuors « viennois », œuvres parfois austères, où il cherche ici à concilier son désir d’expression personnelle et la nécessité qu’il s’impose de suivre un modèle contraignant et étranger à sa sensibilité.

Après le choc des Quatuors op. 33 de Haydn, Mozart prend quatre ans pour écrire six quatuors qu’il dédie à son aîné devenu un ami. « Fruits d’un long et laborieux effort », ces chefs-d’œuvre absolus, où le style sérieux voire dramatisant intègre avec naturel des tendances ludiques et populaires, traduisent une pensée musicale complexe. À travers la transparence de l’écriture percent des signes multiples mais discrets et disséminés grâce auxquels s’exprime l’angoisse de la condition humaine, portée par cette douloureuse palpitation de l’âme et qui, avant ces quatuors, n’avait jamais encore trouvé à se manifester avec autant de résonance profonde.

Astre isolé, le Quatuor K. 499 se révèle un des plus parfaits du compositeur dont l’esthétique ambivalente s’exprime ici de manière moins voilée, mêlant charme et rudesse, abandon pré-schubertien et inquiétude. Opus inachevé, les Quatuors « prussiens » sont teintés d’amertume. Parfois sombres et même âpres, les deux derniers sont parcourus de notations étranges, grinçantes, voire grimaçantes, Mozart connaissant ici une sorte de période « expressionniste » mais tempérée par les canons du classicisme.

Avec ses dix derniers quatuors, Mozart a atteint les plus hauts sommets du genre, la transparence de l’écriture et la pudeur du style se conjuguant avec l’expression la plus intime du trouble de l’âme.

Bernard Fournier