un projet pédagogique


Démos

La pratique de la musique classique peut-elle être un outil de démocratisation culturelle ? Tentative de réponse avec le projet éducatif Démos, impliquant musiciens et travailleurs sociaux.

Vivre ensemble

La musique classique au même titre que les autres arts fait partie d'un patrimoine universel auquel chacun a le droit d'avoir accès. De plus, sa pratique, intrinsèquement collective, favorise l'apprentissage du « vivre ensemble ». C'est sur ces fondements que s'est construit le projet éducatif Démos. Le jeu en orchestre nécessite de la part du jeune un engagement sur la durée, une capacité à se projeter dans un avenir qui lui apportera une maîtrise de plus en plus grande et qui l'aidera à travailler en groupe ; cela demande une certaine forme d'autodiscipline, un sens aigu de ses responsabilités : dans un orchestre, chacun est partie prenante du tout, l'harmonie générale dépend de l'excellence de chacun et de l'écoute qu'il a des autres. « Ils ont une oreille de groupe », s'étonne d'ailleurs une jeune musicienne du conservatoire qui travaille avec eux. Par ailleurs, jouer dans l'orchestre développe un sentiment d'appartenance, donne une place, mais pas toute la place ! On comprend donc les bénéfices éducatifs qu'un enfant peut recueillir d'une telle expérience.

Travailleurs sociaux

Ce qui caractérise le projet Démos, c'est son encadrement éducatif fondé sur le partage des compétences entre musiciens et travailleurs sociaux. L'enseignement est dispensé à trois, deux musiciens et un travailleur social. Pour les musiciens, l'objectif, c'est la maîtrise progressive par les jeunes apprentis de l'instrument, la découverte et la compréhension du langage musical, sur la base d'une mise en situation immédiate. Le travailleur social quant à lui connaît les enfants dans leur environnement quotidien. Tout en valorisant la pratique artistique, en allant même pour beaucoup d'entre eux jusqu'à apprendre à jouer d'un instrument, les travailleurs sociaux servent de pivot, de relais. Ils ont également à coeur des objectifs qui touchent plus directement à la citoyenneté : la régularité de la présence, le comportement, le soin apporté aux instruments prêtés, le règlement des conflits. Ce sont eux qui font le lien, fondamental, avec les familles.

Le projet Démos
en quelques lignes

Objectif

démocratisation de l'accès à la musique classique par l'apprentissage en orchestre.

Mise en oeuvre

Première phase : de janvier 2010 à juin 2012 en Île-de-France.

  • - 450 jeunes débutants de 7 à 12 ans vivant dans des quartiers « Politique de la ville ».
  • - 4 heures d'ateliers de pratique musicale collective hebdomadaires par groupes de 15 dans une structure sociale du quartier.
  • - Des concerts publics sous la direction des chefs d'orchestre Zahia Ziouani et Débora Waldman.
  • - Coordination : Association de prévention du site de La Villette (APSV) avec le soutien pédagogique de la Cité de la musique.

Seconde phase : de septembre 2012 à juin 2015, en Île-de- France et dans trois autres régions.
- 1000 jeunes.
- Coordination : Cité de la musique.

Partenaires

Ministère de la Culture et de la Communication, ministère de la Ville (Acsé), collectivités locales.
Fondation Lilian Thuram « Éducation contre le racisme ».
Mécénat musical Société générale et des fondations SNCF, EDF et EHA.
Avec le parrainage de Lilian Thuram et de sa Fondation « Éducation contre le racisme ».
Centres de loisir, centres sociaux, associations, avec l'expertise
de l'APSV.
Orchestre de Paris, Orchestre Divertimento et autres orchestres
en région, conservatoires.

Le collectif et sa dynamique

La force de cet encadrement éducatif et musical vient d'une double dynamique : d'un côté, la prise en compte globale de l'enfant dans son contexte social et familial pour l'amener vers le patrimoine musical par la pratique, qui engage tout l'individu, de façon physique et émotionnelle ; de l'autre côté, la conscience, pour les musiciens, de la nécessité de réfl échir sur leur transmission : est-elle adaptée à tous les types de jeunes, à l'époque, au groupe ? Que cherche-t-on à transmettre et dans quel but ?
La rencontre est donc au coeur du projet. Rencontre entre musiciens et amateurs, travailleurs sociaux et artistes, enfants et adultes, et surtout rencontre avec la musique, la grande. Car il n'est pas question de transiger sur le répertoire : on joue aussi bien Beethoven que Dvorák, Gershwin ou Piazzolla, dans des arrangements qui permettent à chacun de s'y retrouver. Rencontre fructueuse, puisqu'elle oblige à inventer ensemble. Car la nature même du projet oblige à réfléchir à la façon d'enseigner : on ne peut pas demander à des enfants, qui plus est débutants, de faire quatre heures de technique instrumentale de suite.

Aux musiciens donc d'imaginer des dispositifs particuliers : moments de chant, de déchiffrage, de technique, d'écoute, qui alternent avec l'apprentissage de l'instrument qui, lui, se fait d'entrée de jeu. Chaque séance tend vers un moment fort où c'est l'émotion qui est sollicitée, une émotion qui peut venir de l'écoute pure de la musique, mais également d'un moment de partage où ce sont les enfants qui jouent qui deviennent la source même de ce plaisir. C'est un moment clé de cette expérimentation, un autre temps de partage, celui où les musiciens redécouvrent la force de l'émotion qu'ils font naître, et où les enfants s'approprient sensiblement cette culture réputée difficile. Pas pour eux, qui trouvent que « Beethoven, c'est doux » et qui chantent Bizet à tue-tête. Car l'émotion est constructive.
La clé de la réussite, c'est le collectif et sa dynamique, mais avec une attention portée à chacun et un respect du rythme individuel. La pédagogie ainsi conçue laisse aux enfants le temps d'intégrer les codes du vivre ensemble, avec pour langage commun cette musique qui permet de s'emparer du projet de façon personnelle et intime,tout en respectant la diversité.

Poursuivre la pratique

Une grande majorité des enfants qui ont participé à cette première expérience ont noué des liens très forts avec l'instrument, le répertoire, ce type de travail, et ont émis le souhait de poursuivre cette pratique dans des structures spécialisées, type conservatoire ou école de musique. « Passion », « motivation » sont les mots que l'on retrouve dans la bouche des adultes qui les côtoient depuis trois ans. Ces enfants sont affamés, de rêves, d'échanges, de choses belles à approcher, à toucher. « Je veux faire quelque chose de ma vie, faire du violoncelle », dit Zacharia de Créteil. Il faut donc des mets pour les nourrir et Démos en est un. À nous de ne pas les décevoir ! Et de permettre ainsi que change le regard que l'on porte sur eux !

Dominique Boutel

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Photo © Julien Mignot