Un événement Cité de la musique


Déserts

Ode à l’infini

Accueilli triomphalement à sa création mais aujourd’hui oublié, Le Désert de Félicien David est une œuvre-clef du romantisme français.

Interview d'Alexandre Dratwicki et de Laurence Equilbey.

Lorsqu’il rencontre la doctrine saint-simonienne en 1831, le jeune Félicien David (1810-1876) quitte précipitamment le Conservatoire pour rejoindre la communauté dirigée par Prosper Enfantin. Le mouvement est rapidement dissout par les autorités mais ses disciples, loin de se disperser, partent en voyage en Orient. Entre 1833 et 1835, le compositeur passe par Constantinople, Smyrne, Jaffa, Jérusalem et s’installe un temps en Égypte. De retour à Paris, David reste fasciné par les sensations nouvelles qu’il a éprouvées, et cherche à les transcrire dans plusieurs de ses partitions, les Mélodies orientales et les Brises d’Orient notamment. C’est avec Le Désert, composé en 1843 sur un texte d’Auguste Colin, que David trouve la célébrité. Qualifiée d’« ode-symphonie », l’œuvre tient à la fois de la symphonie à programme et de l’oratorio. Constituée de pièces d’orchestre, de chœurs, d’airs pour ténor et ponctuée d’interventions parlées, Le Désert décrit l’avancée dans le Sahara d’une caravane, groupe de voyageurs réunis pour franchir une contrée désertique. David parvient à créer des couleurs extra-européennes au moyen de solos instrumentaux suggestifs, de percussions, d’ostinatos rythmiques et de l’usage de mélodies orientales. Pour le musicologue Jean-Pierre Bartoli, spécialiste du sujet, Le Désert « marque en France un renouveau de l’exotisme musical : dans le genre sérieux, la turquerie est abandonnée au profit d’une évocation qui se veut à la fois « authentique » et « poétique » tout en restant profondément fantasmatique. »

À l’écoute des tenues de cordes qui ouvrent Le Désert, on est saisi d’emblée par la force évocatrice de l’œuvre. C’est l’étendue infinie du Sahara que dépeint David. Au gré de l’avancée de la caravane dans le désert, l’auditeur entend une « Glorification d’Allah » et assiste à une tempête de simoun. De manière très poétique, la nuit enveloppe la caravane – le compositeur utilise ici une mélodie syrienne qu’il avait entendue durant son séjour en Orient et un chant de bateliers du Nil. Vient le lever du jour et l’appel à la prière du muezzin, réinventé dans un air de ténor en langue arabe. La reprise finale du chœur religieux témoigne du recommencement perpétuel de la vie de la caravane. La partition se referme, mais une nouvelle journée commence pour les voyageurs… L’accueil public et critique du Désert sera triomphal, marqué notamment par un article long et dithyrambique de Berlioz dans Le Journal des débats. L’œuvre devient immédiatement l’emblème en musique du courant orientaliste, à l’instar des Orientales de Victor Hugo en littérature ou des peintures d’Eugène Delacroix. Donnée partout en Europe, elle constitue jusqu’à la fin du siècle un modèle pour de nombreux compositeurs, tels Reyer, Godard, Bizet, Massenet ou Saint-Saëns, dont le Cinquième Concerto pour piano, dit L’Égyptien, est un autre exemple d’orientalisme. Lui aussi figure à l’affiche de ce concert du 6 mai, interprété par Bertrand Chamayou.

Nicolas Southon

  • Félicien David

    Le désert

    Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin
    Guido Maria Guida, direction

    Capriccio, 2009.

  • Félicien David

    Le désert

    Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin
    Guido Maria Guida, direction

    Capriccio, 2009.

  • Félicien David

    Le désert

    Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin
    Guido Maria Guida, direction

    Capriccio, 2009.

Photo : © Islande 2000 Thibaut Cuisset Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire Paris