un événement Cité de la musique


6e Biennale d'Art vocal

Dans l'intimité du chant

Après avoir dirigé l'an dernier la Passion selon saint Matthieu de Bach, le ténor allemand Christoph Prégardien s'illustre dans Winterreise, jalon incontournable du lied romantique

CITÉ MUSIQUES

Existe-t-il des relations stylistiques et techniques entre le répertoire sacré de Bach et le lied romantique que vous pratiquez conjointement ?

CHRISTOPH PRÉGARDIEN

C'est possible, surtout si vous regardez ma biographie, la manière dont j'ai grandi et étudié. Au début j'ai beaucoup chanté Bach ; lorsque j'ai commencé mes études à Francfort, j'ai énormément appris en musique baroque, et plus tard j'ai également beaucoup appris de chefs comme Sigiswald Kuijken, Philippe Herreweghe, John Eliot Gardiner, Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt. Cela ne m'a pas seulement amené à la musique baroque mais aussi à la musique classique et, au-delà, lorsque j'ai rencontré Andreas Staier pour la première fois, cela m'a conduit à Schubert, Schumann, Brahms, etc. Ainsi, ma façon de chanter le répertoire du lied est évidemment influencée par la façon dont je chante la musique baroque et la musique classique.

« Je n'aime pas parler d'esthétique, mais je pense qu'il faut s'interroger sur l'Homme romantique, sur le "romantischer Mensch".
Ce qui comptait au début du XIXe siècle était de placer l'individu au centre de tout. »

Quelles influences avez-vous reçues des maîtres du lied ?

J'ai grandi avec Dietrich Fischer-Dieskau, Fritz Wunderlich, Peter Schreier, Hermann Prey, Elisabeth Schwarzkopf et Christa Ludwig. Mon professeur à la Hochschule de Francfort, Martin Gründler, possédait également une grande expérience en tant que chanteur de lieder, répertoire qu'il adorait et qu'il nous enseignait. J'ai donc été influencé par tous ces grands chanteurs (car selon moi, on écoute les enregistrements et puis on adapte quelque chose), mais je pense que le plus important pour les jeunes chanteurs est de trouver leur propre voie dans l'interprétation d'une mélodie ou d'un cycle de mélodies ; cela veut dire que la vision personnelle des émotions à exprimer dans une mélodie est d'une haute importance parce que c'est ce que le public veut voir.

Préférez-vous interpréter les lieder avec le même pianiste ?

J'ai abordé le lied avec Michael Gees vers 1985, et notre collaboration se poursuit jusqu'à ce jour ; c'est donc un de mes très proches amis musiciens et je pense que je ferai des concerts avec lui jusqu'à ma mort [rires]. C'est une forme de partenariat qui compte beaucoup pour moi. Et cela a été la même chose avec Andreas Staier, que j'ai rencontré un peu plus tard ; notre collaboration s'est terminée il y a deux ans, mais c'était aussi un partenariat musical très fort. Aujourd'hui cependant, depuis une dizaine d'années, je me rends aussi compte que si l'on connaît très bien certaines pièces, on peut encore apprendre et vivre des expériences musicales de façon plus marquante avec un nouveau partenaire, parce qu'il apporte une autre vision de la musique et du texte. J'ai donc quelques autres pianistes comme Julius Drake, Malcom Martineau, Menahem Pressler, Hilko Dumno, Helmut Deutsch ou Wolfram Rieger ; et si vous prenez suffi samment de temps pour parler de la musique et pour répéter, c'est vraiment une expérience formidable d'avoir d'autres partenaires.

Comment décririez-vous l'esthétique poétique de Winterreise ?

Je n'aime pas parler d'esthétique, mais je pense qu'il faut s'interroger sur l'Homme romantique, sur le « romantischer Mensch ». Ce qui comptait au début du XIXe siècle était de placer l'individu au centre de tout, c'est pourquoi les sentiments et les émotions humaines revêtent une grande importance et doivent être exprimés ; comme sujets majeurs on retrouve la nature, les manifestations naturelles, les désirs humains, les expériences humaines. Ce qui compte pour les humains est donc l'amour, le fait de naître, le fait de mourir, la connaissance de la douleur, la connaissance de la joie et c'est cela que l'on trouve dans la plupart de la poésie au début du XIXe siècle.

Sait-on comment Winterreise a été interprété vers 1820 ?

Nous ne le savons pas parce que cela n'a pas été donné durant la vie de Schubert. Il a juste choisi quelques-uns des chants, en a interprété certains devant ses amis qui n'ont pas aimé et dit : « oh, c'est tellement triste et sombre, cela ne nous plaît pas ». Et lui de répondre : « eh bien vous verrez, c'est ce que j'ai écrit de mieux ». Je crois que cela s'est passé juste un an avant sa mort. Je ne suis pas sûr du fait que le cycle ait été donné en intégralité, parce qu'au départ, en découvrant le texte de Müller, Schubert n'a trouvé que douze poèmes et non pas vingt-quatre ; il a donc composé douze lieder et puis, peut-être six mois plus tard, a découvert les douze autres. Il a alors réalisé que c'était une sorte de cycle écrit par Wilhelm Müller et les a rassemblés pour former Winterreise, cycle de vingt-quatre lieder.

Propos recueillis par Pascal Huynh
Traduction : Delphine Malik

Consulter le dossier dédié à la 6e biennale d'art vocal

Photo : Christoph Prégardien © Marco Borggreve