Un événement Cité de la musique


Made in China

Nuits débridées

De Shanghai à Pékin, évitant la censure, une vie musicale en pleine effervescence se développe entre tradition et scène expérimentale.

Shangai underground, Juliette Deschamps, 2014 - Cité de la musique.

Alors que la pop inonde les radios chinoises, peu de place est laissée à la musique underground. Tout en se tenant à l’écart de la politique et des bureaux de censure, la scène musicale et culturelle contemporaine agit comme un stimulant sur la jeunesse chinoise avide de découvertes, en se produisant dans les salles et lieux privés de Shanghai et de la capitale. Si Pékin est le nid de la création et le centre de la culture alternative, Shanghai est connue pour ses fêtes électrisantes et ses clubs nocturnes où se retrouve la jeunesse dorée de la ville. Juliette Deschamps a filmé les nuits shanghaiennes et a rapporté des images qui seront projetées le vendredi 23 mai : des images d’une scène underground fantasmatique, bouillonnante et en pleine effervescence.

Le gouvernement chinois veut faire de Pékin et Shanghai la vitrine de la Chine de demain mais, derrière ces hauts buildings, le mouvement alternatif réussit à s’ancrer dans le paysage urbain loin des yeux des officiels avec une ardeur de plus en plus vive au fil des années. Les artistes, les musiciens et les étudiants inventent depuis la mort de Mao Zedong un mode de vie qui ne leur est pas dicté et dessinent de nouvelles routes en passant à travers les mailles du filet de la censure. Depuis quinze ans, Pékin a vu ouvrir et fermer des dizaines de clubs, les musiciens se délocalisent et déménagent pour échapper à l’étendue massive de la ville et des barrières que pose le gouvernement. Cette mouvance perpétuelle devient peu à peu une source d’inspiration pour les artistes et le développement des mouvements underground suit la rapide émergence du pays.

Au début des années 1980, la jeunesse chinoise cherche à échapper à l’éducation maoïste et la culture occidentale réussit peu à peu à franchir les frontières. Les révoltes sont de plus en plus fréquentes en 1989 et les étudiants contestataires et anticonformistes ne tardent pas à envahir la place Tiananmen. Cui Jian, considéré comme le père du rock chinois, écrit la chanson Rien en mon nom qui devient l’hymne du Printemps de Pékin. Le rock devient alors lié au mouvement pour la démocratie de juin 1989. Si la musique était liée il y a vingt-cinq ans aux révoltes anticommunistes, elle s’apparente aujourd’hui au contexte actuel et parle plus souvent de bonheur et d’amour que de révolutions sanglantes. La nouvelle génération, celle de l’enfant unique, est plus individualiste et s’inspire du quotidien plus que d’un passé douloureux.

Toujours bannis des ondes publiques, les musiciens ont développé leur propre réseau et se font entendre lors de concerts et expositions. Les centres artistiques tels que le 798 au nord-est de Pékin sont sous le joug des autorités chinoises, mais loin de là, les musiciens en marge des courants mainstream font découvrir cette scène émergente à un public de plus en plus nombreux. Leurs allures grunge, les tatouages et les sons électroniques préoccupent peu le gouvernement qui juge ce mouvement comme peu contestataire et peu dangereux. Ce manque de considération est devenu la force des groupes indépendants. Le Mao Live House, repaire de la musique metal, et la salle de concerts indépendante Yugong Yishan, qui accueille la scène rock et électro, peuvent proposer une programmation pointue et permettent aux jeunes artistes de se produire sur scène sans (trop) se préoccuper des autorités. 

Encore méconnue en Occident, la scène musicale chinoise est pourtant en pleine ébullition, devenue un miroir du Londres des années 1960 ou du New York des années 1980. Les musiciens sont de plus en plus nombreux à venir s’installer à Pékin pour rejoindre des groupes qui seront probablement considérés comme pionniers dans les années futures.

Ensemble Dawanggang.

Grâce à internet et aux réseaux sociaux, les musiciens se tournent vers de nouvelles formes de créations et la scène électro se multiplie. De nombreux groupes utilisent leurs ordinateurs dans leurs compositions comme Jungle Mico Project, le projet de Liu Wei qui est devenu incontournable des clubs pékinois depuis sa création il y a deux ans. Les artistes de la génération précédente puisent davantage dans l’héritage musical du pays en intégrant des sonorités et des instruments ancestraux. Song Yuzhe, fondateur du groupe Wood Pushing Melon à la fin des années 1990 et leader de Da Wang Gang, tient une place importante dans l’univers musical chinois et fait partie de cette nouvelle scène qui utilise la musique traditionnelle pour l’intégrer dans un paysage sonore contemporain. Son folk aux notes modernes est accompagné d’images, de vidéos et de sons venant d’un autre temps et des contrées de l’Ouest chinois. Les groupes écoutent du rock et de la musique venant de l’Occident, s’intéressent aux scènes électro berlinoises mais n’oublient pas pour autant leurs racines, faisant se rencontrer la tradition et la modernité, la musique occidentale et la musique ancestrale asiatique. Le groupe Haya, fondé en 2006, revisite les anciens rythmes mongols qu’il mêle à un espace sonore moderne en utilisant des motifs musicaux nouveaux et actuels. Quand certains revisitent les sons d’antan, d’autres se détachent de la tradition à la recherche de nouvelles sonorités comme les multi-instrumentistes Li Daiguo et Meng Qi. Ces deux musiciens explorent la culture expérimentale grâce à l’improvisation et la construction de nouveaux instruments qui emmènent l’auditeur sur des chemins inexplorés.

En perpétuel mouvement, la scène musicale contemporaine gagne progressivement en diversité et ne cesse d’expérimenter de nouveaux sons sans oublier la tradition. Elle n’a jamais été aussi florissante et continue de se propager en évitant les sentiers battus de la capitale chinoise. 

Coraline Aim

Photo : © DR