un événement Cité de la musique


Domaine privé Kaija Saariaho

L'astre polaire

Qu'elle se tourne vers le ballet ou la musique de chambre, vers l'orchestre ou l'opéra, Kaija Saariaho marie la délicatesse du geste à l'ampleur des formes. Ce Domaine privé est une fenêtre entrebâillée sur quelques-uns de ses jardins secrets.

CITÉ MUSIQUES I Quelle est la ligne directrice de cette série de concerts ? Comment avez-vous structuré votre Domaine privé ?

KAIJA SAARIAHO I Nous voulions présenter ma musique sous des formes très diverses : les grandes pièces orchestrales, les opéras, la musique de chambre et le ballet. Et également associer à cet événement des interprètes qui connaissent bien mon œuvre et avec qui j'ai travaillé durant des années, notamment le violoncelliste Anssi Karttunen pour qui j'ai écrit pratiquement toutes mes pièces pour violoncelle ; l'ensemble Avanti!, complice depuis très longtemps (avant même la formation de l'ensemble). Tous les interprètes présents connaissent intimement ma musique. Le Quatuor Méta4 est d'ailleurs en train d'en enregistrer un album. Il y a également des chanteuses comme Barbara Hannigan ou Anu Komsi qui va chanter quatre chansons que j'ai écrites pour elle, les Leino Songs ; le dynamique ensemble ICE qui vient de New-York. Quant aux chefs d'orchestre, Ernest Martinez-Izquierdo, notamment, a beaucoup dirigé mes œuvres ; cela fait longtemps que nous travaillons ensemble. Il conduira le concert d'Avanti! Enfin, nous recevrons le jeune chef Santtu-Matias Rouvali que je n'ai jamais entendu.

Dans ce Domaine privé, on entendra vos œuvres mais également celles d’autres compositeurs finlandais, notamment Sibelius. Y a-t-il une vie après Sibelius en Finlande ?

Je n’ai jamais été gênée par Sibelius. Mais la génération qui lui a immédiatement succédé a certainement dû vivre dans son ombre. La Finlande est un petit pays, sa musique est partout ; cette situation a certainement été dure à vivre pour certains musiciens.

  • Jean Sibelius, Symphonie n° 7

    Berliner Sinfonie-Orchester, Kurt Sanderling; Edel Classics / Lic. Brillant Classics, 1977

  • Jean Sibelius, Voces Intimae

    Melos Quartett, Harmonia Mundi 2000

Existe-t-il un lien entre le quatuor Voces intimae de Sibelius et votre Terra memoria ?

Ce sont deux mondes différents. Le langage de Sibelius n’a rien à voir avec le mien, mais en même temps, sa pièce s’appelle « les voix in-times » et la mienne est également une pièce très intime. Elle n’a pas été inspirée par l’œuvre de Sibelius mais peut-être que, jouée lors d’un même concert, elle révélera des points communs auxquels je n’avais pas pensé.

  • Kaija Saariaho, Maa

    Kaija Saariaho © Chester Music Limited

  • Kaija Saariaho, Emilie

    Kaija Saariaho © Chester Music Limited

Doit-on voir dans l’œuvre de Sibelius une dimension cosmique ?

Il était très proche de la nature. Comme chaque personne habitant en Finlande, il a vécu au milieu d’elle car elle est très présente. C’est donc un thème important au sein de son œuvre. De mon côté, j’écoute les pièces de Sibelius comme j’écoute la musique d’un autre compositeur, de manière plus analytique.

Quelle est la signification du terme « Maa » qui donne son nom à la première œuvre que nous entendrons ?

En finnois, cela veut dire « la terre » ou « le pays ». Ce nom est à l’origine du projet de ballet créé avec Carolyn Carlson au début des années 1990. Il se déroule en sept mouvements et chacun de ces mouvements correspond à un voyage métaphorique différent. Nous assisterons ici à une chorégraphie de Luca Veggetti créée à New-York avec l’ensemble ICE. Ce Domaine privé évoque également la dimension lyrique, opératique de votre œuvre, notamment à travers Adriana Mater et Émilie.

Pouvez-vous évoquer votre collaboration avec Amin Maalouf et Peter Sellars ?

J'ai créé trois opéras ; les deux premiers ont fait l'objet de collaborations avec Amin Maalouf et Peter Sellars. Peter a aussi travaillé avec nous sur La Passion de Simon qui est un oratorio. Avec Amin, nous avons poursuivi notre collaboration pour le troisième opéra, Émilie. Lors de sa création à Lyon, François Girard a assuré la mise en scène. Dans ce Domaine privé, on entendra Émilie Suite, créée à partir de l'opéra.

  • Kaija Saariaho, Graal theatre

    Ensemble intercontemporain, Cité de la musique, 11 février 2011

  • Kaija Saariaho, Leino Songs

    Finnish Radio Symphony, Sakari Oramo Kari Kriisku, Anu Komsi, © Ondine Oy, Helsinki, 2011

Enfin, lors du dernier concert, nous entendrons des œuvres de Paavo Heininen et Lotta Wennäkoski. À quelle génération appartiennent-ils ?

Pour ce dernier concert, j’ai choisi des œuvres de deux autres compositeurs fi nlandais. Paavo Heininen était mon professeur, c’est un personnage très important dans mon parcours personnel, mais aussi dans la vie musicale finlandaise ; et Lotta Wennäkoski est une femme qui a été mon élève. Je me suis dit que ce serait très intéressant d’avoir trois générations de professeurs et d’élèves en regard dans un même concert.

Propos recueillis par Pascal Huynh
Photo : Kaija Saariaho © Juha Törmälä

Avec le soutien de l'Institut finlandais de Paris et l'Ambassade de Finlande en France, de la Fondation LUSES, Foundation for the Promotion of Finnish Music et du programme FACE, fonds franco-américain pour la musique contemporaine