Enfin, le regroupement d'une grande partie de l'intelligentsia juive pragoise et allemande, dont des interprètes et compositeurs renommés, ce qui a mené au qualificatif abusif de « camp des musiciens ». Pour des raisons propagandistes, une vie musicale intense y est encouragée par la Kommandantur SS. Les artistes jouissent d'un statut privilégié au regard des détenus « ordinaires » : certains sont dispensés de travail, perçoivent des rations alimentaires moins misérables, sont mieux logés et, dans un premier temps, à l'abri des transports vers Birkenau. Une « Administration des Loisirs » est mise en place, des orchestres et de nombreux ensembles tchèques et allemands se constituent rapidement. Dès 1943, avec l'avancée du conflit et suite aux pressions de la communauté internationale, Theresienstadt devient un « camp de propagande » afin de masquer les déportations vers l'Est. Une visite de la Croix-Rouge internationale est organisée le 23 juin 1944 et minutieusement préparée : façades repeintes, kiosque à musique rénové, détenus bien portant choisis comme figurants...
Suite à cette visite un film de propagande est réalisé, sous la contrainte, par Kurt Gerron. La défaite annoncée de l'Allemagne sonne l'évacuation du camp ; la majeure partie de la population, artistes compris, est déportée vers Birkenau en octobre 1944. La plupart périront dans les chambres à gaz dès leur arrivée. La présence de compositeurs reconnus, des conditions de vie moins misérables que dans d'autres camps et la possibilité de se procurer des instruments et du papier à musique expliquent la richesse de la création musicale à Theresienstadt. Y résonnent tous types de musique : savante ou populaire, chants religieux ou folkloriques, musique de cabaret et de jazz. Le programme d'Anne Sofie von Otter et de ses partenaires, le violoniste Daniel Hope, le pianiste Bengt Forsberg et l'accordéoniste Bebe Risenfors, met en valeur cet aspect extrêmement riche et kaléidoscopique.
Elise Petit