un événement Cité de la musique


6e Biennale d'Art vocal

Terezin

La mezzo-soprano Anne Sofie von Otter rend hommage aux compositeurs, musiciens et artistes détenus dans la ville-forteresse de Terezin qui connut une vie musicale exceptionnelle, comme pour mieux masquer l'œuvre de mort qui s'y tramait en silence.

Theresienstadt, aménagé dans la ville-forteresse de Terezín à quelques kilomètres de Prague, fait figure de cas particulier dans le système concentrationnaire. Après que les autorités nazies eurent pris conscience que la disparition de certains Juifs renommés, ou Prominenten — artistes, savants, décorés ou mutilés de la Première Guerre mondiale —, ne manquerait pas de susciter des questions quant au sort réservé au peuple juif tout entier, il fut décidé lors de la Conférence de Wannsee que Theresienstadt aurait un double statut : « camp de transit » pour les Juifs du Protectorat de Bohême-Moravie, et « ghetto pour personnes âgées » (Ältersghetto) destiné aux Juifs du Reich de plus de 65 ans. En réalité, Theresienstadt fut l'antichambre d'Auschwitz-Birkenau : plus de la moitié des 155 000 détenus y périront. Trois caractéristiques rendent ce camp unique. Tout d'abord la constitution de la population : uniquement des Juifs dans l'acception nazie du terme — c'est-à-dire ayant au moins un aïeul ou un parent juif.

Le camp est placé sous la responsabilité d'une « Administration autonome juive » aux ordres des commandants SS successifs. La présence d'enfants ensuite, déportés avec leur famille. Dispensés de travail, la plupart d'entre eux furent pris en charge par des éducateurs qui rendirent leur quotidien moins insupportable grâce à des initiatives culturelles et pédagogiques.

Extrait du DVD "Terezin - Refuge in Music", sortie automne 2013 - avec l'autorisation de la Bayerische Akademie der Schönen Künste / Katja Schaefer

Enfin, le regroupement d'une grande partie de l'intelligentsia juive pragoise et allemande, dont des interprètes et compositeurs renommés, ce qui a mené au qualificatif abusif de « camp des musiciens ». Pour des raisons propagandistes, une vie musicale intense y est encouragée par la Kommandantur SS. Les artistes jouissent d'un statut privilégié au regard des détenus « ordinaires » : certains sont dispensés de travail, perçoivent des rations alimentaires moins misérables, sont mieux logés et, dans un premier temps, à l'abri des transports vers Birkenau. Une « Administration des Loisirs » est mise en place, des orchestres et de nombreux ensembles tchèques et allemands se constituent rapidement. Dès 1943, avec l'avancée du conflit et suite aux pressions de la communauté internationale, Theresienstadt devient un « camp de propagande » afin de masquer les déportations vers l'Est. Une visite de la Croix-Rouge internationale est organisée le 23 juin 1944 et minutieusement préparée : façades repeintes, kiosque à musique rénové, détenus bien portant choisis comme figurants...

Suite à cette visite un film de propagande est réalisé, sous la contrainte, par Kurt Gerron. La défaite annoncée de l'Allemagne sonne l'évacuation du camp ; la majeure partie de la population, artistes compris, est déportée vers Birkenau en octobre 1944. La plupart périront dans les chambres à gaz dès leur arrivée. La présence de compositeurs reconnus, des conditions de vie moins misérables que dans d'autres camps et la possibilité de se procurer des instruments et du papier à musique expliquent la richesse de la création musicale à Theresienstadt. Y résonnent tous types de musique : savante ou populaire, chants religieux ou folkloriques, musique de cabaret et de jazz. Le programme d'Anne Sofie von Otter et de ses partenaires, le violoniste Daniel Hope, le pianiste Bengt Forsberg et l'accordéoniste Bebe Risenfors, met en valeur cet aspect extrêmement riche et kaléidoscopique.

Elise Petit

Consulter le dossier dédié à la 6e biennale d'art vocal

Photo : Anne Sofie Von Otter © Mats Backer - DG