Un événement Cité de la musique


The Photographer

Philip Glass, The Photographer

Dans The Photographer, une pièce de théâtre musical, Philip Glass s’inspire de la vie du photographe américain Eadweard Muybridge, dont les travaux sur la captation du mouvement ont préparé l’invention du cinéma. Le chef d’orchestre Thomas Bruns nous rappelle l’originalité de cette œuvre multimédia.

Commande du Festival de Hollande, The Photographer voit le jour en 1982 et est créé la même année au Palais royal d’Amsterdam. L’année suivante l’œuvre est donnée en première audition américaine, dans une version remaniée cependant. Insatisfait du concert d’Amsterdam, Philip Glass a élaboré sur la base du scénario de Rob Malasch et de sa propre musique une partition dont certains aspects essentiels sont nouveaux. Dans les années suivantes, c’est surtout la troisième partie qui se fait connaître du public, indépendamment du reste : elle est jouée plusieurs fois, également dans une orchestration différente.

The Photographer semble donc mener une vie excentrique et expérimentale comme son protagoniste. Le plan original de l’œuvre, qui mêle de façon successive théâtre, concert et danse, donne force à l’idée qu’il faut appréhender la personnalité hétérogène de Muybridge de manière artistique. Par ailleurs, il renvoie à l’enthousiasme de la fin du XIXe siècle pour une conception linéaire du temps à laquelle est liée l’invention des fuseaux horaires, conséquence de l’industrialisation. Les suites d’images d’Eadweard Muybridge, qui construisent et déconstruisent le temps linéaire, reflètent l’esprit de cette époque de manière exemplaire. Dans The Photographer, Philip Glass et son librettiste Rob Malasch reprennent à leur compte cette conception sérielle et présentent un travail de média mixtes pour ainsi dire déplié sous nos yeux. Des éléments de théâtre, de concert et de danse sont mis en œuvre non pas simultanément, mais successivement.

La première partie raconte sous forme théâtrale, en plusieurs scènes complétées par de brèves interventions musicales, la suite d’événements qui a mené au crime perpétré par Muybridge et au non-lieu. Les personnages sont Muybridge, sa femme Flora, l’amant de celle-ci Harry Larkyns, et plusieurs autres personnes de l’entourage des Muybridge, chacun apparaissant cependant de manière codée : chaque nom est réduit à une lettre. Ainsi se pose la question du qui est qui et de l’intégrité des personnes.

Le texte compact et succinct de Rob Malasch cache plus qu’il ne révèle. Il laisse ainsi un espace d’expérimentation qu’utilise le chorégraphe Shang-Chi Sun, dans la production de l’Ensemble KNM de Berlin, de manière minimaliste et cependant intensive et dynamique.

Suit une composition pour ensemble instrumental de quinze minutes environ – c’est la deuxième partie. Depuis les premières exécutions des années 1980, cette pièce est couplée à un diaporama de photos d’Eadweard Muybridge (le choix des clichés est laissé à la discrétion des interprètes), et peut donc être considérée comme un support musical pour une visualisation qui mise sur une étroite relation entre les expressions musicale et visuelle. La deuxième partie est en même temps un sas qui permet une transition sensuelle entre le théâtre et la danse de la troisième partie.

Celle-ci, furieux finale dansé de vingt minutes environ qui compte parmi les meilleurs travaux de Philip Glass, ramène les personnages de la première partie, désormais non plus acteurs mais danseurs.

Thomas Bruns

Écoutez un extrait musical

  • Philip Glass

    The Photographer,
    extrait de l'Acte II

    The Philip Glass Ensemble

Photo : Act 2 @ Sven Andreas Hagolani