Tharaud distribue ses cartes
Ambassadeur de la musique française à l'étranger, Alexandre
Tharaud n'aime rien tant que le mélange des époques, des genres
et des styles, et s'entourer, à l'occasion de son Domaine privé,
d'artistes issus d'autres disciplines.
CITÉ MUSIQUES
La Cité de la musique vous
consacre un Domaine privé, au même titre cette
saison qu'Étienne Daho et Henri Dutilleux. Que
vous inspire un tel compagnonnage ?
ALEXANDRE THARAUD
J'adore Étienne
Daho. Ses débuts correspondent à mon adolescence,
j'ai acheté ses premiers disques. J'aime
énormément la musique de Dutilleux, de même
que l'homme et son parcours. Leur liberté me
rapproche peut-être d'eux. Ce sont des électrons
libres, des artistes qui ont construit leur chemin
de musiciens souvent à contre-courant, qui n'ont
pas subi les modes et ne se sont pas laissés aller
à se rapprocher de telle ou telle tendance.
« contrairement à la majorité des pianistes, je me suis
construit par mes disques. Ils ont tissé un lien avec le
public qui a toujours été plus fort jusqu'à aujourd'hui
et qui m'a donné la force de jouer en récital »
Comment avez-vous conçu votre programmation ?
J'ai proposé comme thème ma discographie car,
contrairement à la majorité des pianistes, je me suis
construit par mes disques. Ils ont tissé un lien avec le
public qui a toujours été plus fort jusqu'à aujourd'hui
et qui m'a donné la force de jouer en récital, ce que je
faisais très peu au début de ma carrière, car j'étais terrifié,
tétanisé quand je rentrais sur scène. Je connais
toujours la peur, mais elle est désormais très positive.
Pour Outre-mémoire, que vous avez créé, vous
cédez la place à un autre pianiste.
J'utilise également cette carte blanche pour
transmettre le flambeau à d'autres musiciens.
Ainsi pour Outre-mémoire, ce projet entre le
compositeur Thierry Pécou et le plasticien Jean-
François Boclé qui aborde la question de l'esclavage
et de la traite négrière à travers un dialogue
entre installations scéniques et musique. Cette
oeuvre magistrale sera jouée par un pianiste
que j'admire beaucoup, Frédéric Vaysse-Knitter,
accompagné de l'Ensemble Variances.
Vous donnerez trois récitals en une journée.
Cela représente-t-il un défi ?
Monter sur scène pour un concert d'une heure est
en soi un défi. Quand on interprète un concerto de
Bach, qui ne dure que douze minutes, il faut tout
donner et on se prépare la journée entière. Lors d'une
série de trois récitals, on se doit de maîtriser les choses
et de s'économiser. Je jouerai aussi en une seule soirée
un concerto de Bach et un autre de Beethoven.
Vous donnerez trois récitals en une journée.
Cela représente-t-il un défi ?
Monter sur scène pour un concert d'une heure est
en soi un défi. Quand on interprète un concerto de
Bach, qui ne dure que douze minutes, il faut tout
donner et on se prépare la journée entière. Lors d'une
série de trois récitals, on se doit de maîtriser les choses
et de s'économiser. Je jouerai aussi en une seule soirée
un concerto de Bach et un autre de Beethoven.
Parlez-nous du film qui vous est consacré et qui
sera projeté à cette occasion.
Un jour, la réalisatrice Raphaëlle Aellig-Régnier est
venue me voir en me demandant si elle pouvait
faire un film sur moi. Cela m'a étonné. Elle voulait
aborder tout ce qui se passe dans les coulisses
et en dehors des concerts. Je l'ai prévenue du
caractère totalement inintéressant de ma vie par
rapport à celles des personnes qu'elle avait déjà
filmées, mais elle ne semblait pas aussi sûre de
cela que moi. Elle m'a suivi alors pendant deux ans,
de Kuala Lumpur à Montréal, en passant par la
Suisse. Le résultat est beau, car il raconte quelque
chose de moi qui m'échappe – que je ne veux
pas voir ou qui ne m'intéresse pas – et aussi des
aspects que le public ignore de la vie d'un pianiste,
une vie souvent assez dure, stricte.
Votre Domaine privé s'achève lors d'une
soirée peu ordinaire.
Je voulais une nuit folle et le concert commencera
à 20h pour durer au bas mot cinq heures.
Il s'agira d'une soirée bien préparée mais qui se
déroulera de manière assez improvisée avec des
musiciens classiques, des acteurs, des chanteurs,
des invités de dernière minute. Il faut qu'il y ait
de l'urgence et je crois qu'on va bien s'amuser.
D'où vous vient ce besoin d'être entouré
d'artistes de disciplines différentes ?
Encore dans le ventre de ma mère, qui pratiquait
la danse et la chorégraphie, j'étais déjà sur
les planches. Ensuite, j'ai fait de la figuration, de
la danse, je chantais dans des théâtres du nord
de la France, dans lesquels mon père faisait des
mises en scène d'opéras-comiques. Maintenant,
à dose homéopathique mais régulièrement, j'ai
besoin de m'imprégner de l'univers d'artistes qui
viennent parfois d'un autre monde que le mien,
comme Bartabas ou Michael Haneke. Quand on
collabore avec des créateurs qui ont un autre
mode d'expression que le vôtre, on joue mieux
après, c'est une belle leçon.
Votre carrière a connu une progression assez
lente, avant d'exploser en 2001 à la sortie
du disque Rameau. Est-ce une chance selon
vous ?
Je bénis cette période difficile, entre le
conservatoire et l'enregistrement Rameau. Je
donnais très peu de concerts et mes disques ne
rencontraient pas d'écho. Mais heureusement
que je suis passé par là. C'est une époque où
j'ai pu travailler mon répertoire et penser à ce
qu'allait être ma vie de musicien, à ma relation au
piano. Contrairement à des artistes de mon âge
ou aux jeunes d'aujourd'hui qui, pour certains,
ont dès 18 ans une maison de disques, un grand
agent et n'ont pas le temps de réfléchir. Cela
m'a amené à avoir beaucoup de recul après ce
succès surprenant et ne pas écouter les mille et
un conseils qu'on me donnait. Cela m'a permis
ce parcours peut-être atypique mais cohérent
avec ce que je suis…
Propos recueillis par Bertrand Boissard