un événement Cité de la musique


Domaine Privé Alexandre Tharaud

Tharaud distribue ses cartes

Ambassadeur de la musique française à l'étranger, Alexandre Tharaud n'aime rien tant que le mélange des époques, des genres et des styles, et s'entourer, à l'occasion de son Domaine privé, d'artistes issus d'autres disciplines.

CITÉ MUSIQUES

La Cité de la musique vous consacre un Domaine privé, au même titre cette saison qu'Étienne Daho et Henri Dutilleux. Que vous inspire un tel compagnonnage ?

ALEXANDRE THARAUD

J'adore Étienne Daho. Ses débuts correspondent à mon adolescence, j'ai acheté ses premiers disques. J'aime énormément la musique de Dutilleux, de même que l'homme et son parcours. Leur liberté me rapproche peut-être d'eux. Ce sont des électrons libres, des artistes qui ont construit leur chemin de musiciens souvent à contre-courant, qui n'ont pas subi les modes et ne se sont pas laissés aller à se rapprocher de telle ou telle tendance.

  • Erik Satie, Gnossiennes

    Alexandre Tharaud © Harmonia Mundi, 2009

  • Frédéric Chopin, Grande valse brillante op.18

    Alexandre Tharaud © Harmonia Mundi, 2006

« contrairement à la majorité des pianistes, je me suis construit par mes disques. Ils ont tissé un lien avec le public qui a toujours été plus fort jusqu'à aujourd'hui et qui m'a donné la force de jouer en récital »

Comment avez-vous conçu votre programmation ?

J'ai proposé comme thème ma discographie car, contrairement à la majorité des pianistes, je me suis construit par mes disques. Ils ont tissé un lien avec le public qui a toujours été plus fort jusqu'à aujourd'hui et qui m'a donné la force de jouer en récital, ce que je faisais très peu au début de ma carrière, car j'étais terrifié, tétanisé quand je rentrais sur scène. Je connais toujours la peur, mais elle est désormais très positive.

Pour Outre-mémoire, que vous avez créé, vous cédez la place à un autre pianiste.

J'utilise également cette carte blanche pour transmettre le flambeau à d'autres musiciens. Ainsi pour Outre-mémoire, ce projet entre le compositeur Thierry Pécou et le plasticien Jean- François Boclé qui aborde la question de l'esclavage et de la traite négrière à travers un dialogue entre installations scéniques et musique. Cette oeuvre magistrale sera jouée par un pianiste que j'admire beaucoup, Frédéric Vaysse-Knitter, accompagné de l'Ensemble Variances.

Vous donnerez trois récitals en une journée. Cela représente-t-il un défi ?

Monter sur scène pour un concert d'une heure est en soi un défi. Quand on interprète un concerto de Bach, qui ne dure que douze minutes, il faut tout donner et on se prépare la journée entière. Lors d'une série de trois récitals, on se doit de maîtriser les choses et de s'économiser. Je jouerai aussi en une seule soirée un concerto de Bach et un autre de Beethoven.

Vous donnerez trois récitals en une journée. Cela représente-t-il un défi ?

Monter sur scène pour un concert d'une heure est en soi un défi. Quand on interprète un concerto de Bach, qui ne dure que douze minutes, il faut tout donner et on se prépare la journée entière. Lors d'une série de trois récitals, on se doit de maîtriser les choses et de s'économiser. Je jouerai aussi en une seule soirée un concerto de Bach et un autre de Beethoven.

Parlez-nous du film qui vous est consacré et qui sera projeté à cette occasion.

Un jour, la réalisatrice Raphaëlle Aellig-Régnier est venue me voir en me demandant si elle pouvait faire un film sur moi. Cela m'a étonné. Elle voulait aborder tout ce qui se passe dans les coulisses et en dehors des concerts. Je l'ai prévenue du caractère totalement inintéressant de ma vie par rapport à celles des personnes qu'elle avait déjà filmées, mais elle ne semblait pas aussi sûre de cela que moi. Elle m'a suivi alors pendant deux ans, de Kuala Lumpur à Montréal, en passant par la Suisse. Le résultat est beau, car il raconte quelque chose de moi qui m'échappe – que je ne veux pas voir ou qui ne m'intéresse pas – et aussi des aspects que le public ignore de la vie d'un pianiste, une vie souvent assez dure, stricte.

Votre Domaine privé s'achève lors d'une soirée peu ordinaire.

Je voulais une nuit folle et le concert commencera à 20h pour durer au bas mot cinq heures. Il s'agira d'une soirée bien préparée mais qui se déroulera de manière assez improvisée avec des musiciens classiques, des acteurs, des chanteurs, des invités de dernière minute. Il faut qu'il y ait de l'urgence et je crois qu'on va bien s'amuser.

D'où vous vient ce besoin d'être entouré d'artistes de disciplines différentes ?

Encore dans le ventre de ma mère, qui pratiquait la danse et la chorégraphie, j'étais déjà sur les planches. Ensuite, j'ai fait de la figuration, de la danse, je chantais dans des théâtres du nord de la France, dans lesquels mon père faisait des mises en scène d'opéras-comiques. Maintenant, à dose homéopathique mais régulièrement, j'ai besoin de m'imprégner de l'univers d'artistes qui viennent parfois d'un autre monde que le mien, comme Bartabas ou Michael Haneke. Quand on collabore avec des créateurs qui ont un autre mode d'expression que le vôtre, on joue mieux après, c'est une belle leçon.

Votre carrière a connu une progression assez lente, avant d'exploser en 2001 à la sortie du disque Rameau. Est-ce une chance selon vous ?

Je bénis cette période difficile, entre le conservatoire et l'enregistrement Rameau. Je donnais très peu de concerts et mes disques ne rencontraient pas d'écho. Mais heureusement que je suis passé par là. C'est une époque où j'ai pu travailler mon répertoire et penser à ce qu'allait être ma vie de musicien, à ma relation au piano. Contrairement à des artistes de mon âge ou aux jeunes d'aujourd'hui qui, pour certains, ont dès 18 ans une maison de disques, un grand agent et n'ont pas le temps de réfléchir. Cela m'a amené à avoir beaucoup de recul après ce succès surprenant et ne pas écouter les mille et un conseils qu'on me donnait. Cela m'a permis ce parcours peut-être atypique mais cohérent avec ce que je suis…

  • Alexandre Tharaud d'après Frédéric Chopin, Chopinata

    Alexandre Tharaud © Virgin Classics, 2012

  • Jean-Philippe Rameau, Les Sauvages

    Alexandre Tharaud © Harmonia Mundi, 2001

Propos recueillis par Bertrand Boissard

Photo : Alexandre Tharaud © Marco Borggreve